Incasables ? Oui, mais…..

Nous employons parfois le terme d’ « incasables » proposés par Jean-Pierre Chartier  car nous estimons qu’il correspond bien au statut qui est conféré à beaucoup de ces jeunes accueillis en séjours de rupture. Fernand Deligny, lui, parlait des « implaçables » pour signifier cette même population qu’il accueillait dans ces dispositifs innovants comme La Grande Cordée.

Ces adolescents sont repérés comme difficiles par leur famille et les équipes encadrantes s’occupant d’eux et sont d’autant plus difficiles qu’ils ne ressentent pas de difficultés, n’ont pas conscience de leur état. Ils mettent en difficulté les institutions en atteignant leurs limites et qui finissent par douter de leurs compétences, de leur identité et de leurs missions. Elles pensent alors que d’autres structures sont alors plus adaptées et plus compétentes pour ce «cas» mais ces dernières estiment le contraire, doutant de leurs capacités à accueillir de tels profils…

De ce fonctionnement institutionnel, inhérent à ces problématiques d’adolescents difficiles, en vient à «se passer, se renvoyer les patates chaudes». Nous avons effectivement vu que les pathologies de l’acte, l’attaque du lien et du cadre, la souffrance de séparation, les difficultés à penser et à élaborer psychiquement mettent à mal les dispositifs pouvant prendre en charge ces adolescents. Les familles alertent, signalent, demandent de l’aide auprès des services sociaux car elles arrivent à bout de leurs possibilités, de leurs limite d’accompagnement ou alors l’institution scolaire signale une information préoccupante. La protection de l’enfance se charge alors d’accompagner ces familles, de placer leur enfant quand la situation s’avère nécessaire (maltraitance, cadre parental défaillant, etc.) dans des structures les plus adaptées possibles à leur problématique.

Mais les professionnels, souvent cloisonnés dans leurs institutions et leurs appréciations de la situation du jeune, finissent par rencontrer les mêmes difficultés que la famille dans le soutien et l’accompagnement de l’adolescent, lui-même mettant les dispositifs en difficulté de continuité. Encore aujourd’hui, un grand nombre de professionnels méconnaissent ou connaissent mal l’ensemble des possibles de prise en charge et d’accompagnement de ces adolescents difficiles. Comme le souligne à ce titre Jeammet, tous les professionnels autour de cette jeunesse en souffrance ont une grave tendance à se disqualifier les uns les autres, souvent par méconnaissance, méfiance et fierté de pouvoir y arriver et de ne pas vouloir «baisser les bras». Mais en fonctionnant ainsi, Jeammet précise bien que nous fonctionnons comme ces adolescents et qu’il est donc difficile de trouver sa place dans l’accompagnement. L’image du monde des adultes est alors incohérente pour ces adolescents

En tant qu’adultes, nous devons trouver une légitimité à poser un cadre, des interdits et des limites évitant ainsi cette incohérence qui est ce qui a de plus compliqué pour ces adolescents. Beaucoup de ces jeunes sont effectivement difficilement «casables» que ce soit dans le système de soin, de l’éducatif, du judiciaire, de l’éducation nationale et souvent auprès de sa famille naturelle de part leurs problématiques multiples ; il apparait ainsi nécessaire de proposer des prises en charges multi-modales, des alternatives éducatives entre la famille et le placement moyenne/longue durée au plus près des réalités familiales. Et cela en se fédérant, mettant de côté les fiertés professionnelles replaçant toujours l’usager et sa famille au centre des préoccupations et en apprenant à découvrir tous les modes de prises en charge sans regard subjectif sur les pratiques de chacun, évitant ainsi de continuer à parler de ces adolescents difficiles comme des «incasables».

Carine Saint-Martin. Évaluation de séjours de rupture pour des adolescents en grandes difficultés : approches méthodologique et théorique. Psychologie. Université Toulouse le Mirail – Toulouse II